Le Conseil d'Etat précise les pouvoirs du maire pour faire cesser une pollution des eaux
A l'occasion d'un litige portant sur la pollution d'un pâturage et une intoxication de bétail, le Conseil d'Etat précise l'étendue des pouvoirs de police dont dispose le maire pour faire cesser une telle pollution.
L'octroi au maire de pouvoirs de police spéciale en matière de contrôle des installations d'assainissement non collectif (ANC) ne le prive pas des pouvoirs de police générale qui lui permettent de faire cesser des pollutions de toute nature.
Tel est l'enseignement principal de la décision rendue le 27 juillet 2015 par le Conseil d'Etat dans un litige opposant un exploitant agricole victime d'une pollution des eaux à la commune d'Hébuterne (Pas-de-Calais).
Débordement de fossés recueillant les eaux usées
Les faits étaient les suivants. Les parcelles de l'agriculteur, où paissait un troupeau d'ovins, avaient fait l'objet d'inondations répétées causées par le débordement de fossés recueillant les eaux usées de plusieurs habitations.
L'agriculteur a recherché la responsabilité de la commune devant la justice administrative. Avec succès puisque le tribunal administratif de Lille a retenu une faute du maire, engageant la responsabilité de la commune, du fait qu'il n'avait pas pris les mesures aptes à faire cesser les inondations et à mettre un terme aux rejets d'effluents pollués par les habitations situées en amont. Le tribunal a condamné la commune à verser une somme de 14.490 euros à la victime au titre de la remise en état des pâtures. Mais il a en revanche rejeté la demande de réparation des préjudices liés à une surmortalité du troupeau, faute pour l'agriculteur d'avoir pu établir l'existence d'un lien de causalité entre cette surmortalité et les pollutions.
La cour administrative d'appel de Douai a porté l'indemnité due par la commune à 20.188 euros. Mais elle a déterminé la période de carence fautive du maire en prenant en compte les seuls pouvoirs de contrôle des installations d'assainissement autonome que lui confèrent l'article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales et l'article L. 1331-1-1 du code de la santé publique.
Pouvoirs de police générale
En cassation, le Conseil d'Etat juge, par un considérant de principe, que "l'octroi au maire, à compter du 31 décembre 2006, de pouvoirs de police spéciale en matière de contrôle des installations d'assainissement non collectif n'a pas privé celui-ci des pouvoirs de police générale qu'il tient de l'article L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, notamment en vue de faire cesser les pollutions de toute nature".
En d'autres termes, les juges du fond auraient dû rechercher si la responsabilité de la commune ne pouvait pas également être retenue du fait de l'abstention du maire à faire usage de ses pouvoirs de police générale. Et ce, sur la période où il était temporairement libéré de ses obligations au titre de ses pouvoirs de police spéciale en matière de contrôle des installations d'assainissement non collectif. Ne l'ayant pas fait, le Conseil d'Etat estime que les juges d'appel ont commis une erreur de droit et annule leur décision en ce qui concerne la période de responsabilité de la commune.
Il fait de même en ce qui concerne l'évaluation des préjudices subis par la victime. En écartant l'indemnisation des préjudices liés à la surmortalité du troupeau du seul fait que les analyses des eaux prélevées sur les terrains concernés n'avaient pas révélé la présence de germes pathogènes identiques à ceux réputés avoir entraîné la mort des animaux, la cour de Douai a entaché sa décision de dénaturation, estime le Conseil d'Etat. Le dossier établissait en effet que les inondations des pâturages par des eaux gravement polluées, récurrentes pendant plus de treize ans, avaient affaibli et fragilisé les animaux.
Le juge indemnitaire peut faire cesser le trouble
L'arrêt du Conseil d'Etat apporte enfin des précisions sur les pouvoirs du juge dans le cadre d'un recours indemnitaire. "Lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d'un préjudice imputable à un comportement fautif d'une personne publique et qu'il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut, en vertu de ses pouvoirs de pleine juridiction et lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, enjoindre à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets", juge le Conseil d'Etat.
Il en déduit que la cour d'appel a commis une deuxième erreur de droit en rejetant la demande de l'agriculteur visant à ordonner à la commune de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin aux pollutions dont il était victime ou, à défaut, de mettre à sa disposition une pâture saine.
Une décision qui comblera les victimes de pollutions résultant de la défaillance de systèmes d'assainissement non collectif mais qui envoie un sérieux avertissement aux collectivités qui pourront en être jugées responsables.